-
Brennan, Elyott.Les jambes tremblant légèrement, Marlene s'avança vaillamment jusqu'au tabouret qu'elle craignait tant. Elle était reconnaissante au professeur McGonagall d'avoir accepté de modifier son prénom d'inscription en Elyott Brennan - une précaution qu'elle avait pensé à prendre de son propre chef, ce dont elle se féliciterait par la suite. Elle avait honte d'être une Née-Moldu. Elle se sentait diminuée, moins sorcière que ceux qui avaient désormais leurs petits yeux curieux fixés sur elle. Mais plus encore, elle avait peur de ce qu'être une Sang-de-Bourbe suggérait, en ces temps troublés.
Le Choixpeau finit par lui obscurcir complètement la vue. Elle s'attendait à être confrontée à un silence total, mais elle s'était trompée. Dès l'instant où le noir l'envahit, une voix narquoise murmura d'un air songeur :
-
Tu n'es pas Elyott Brennan.-
Je le sais, répondit-elle sans parvenir à dissimuler de manière convaincante la pointe de panique qui perçait derrière son agacement.
Allait-il la dénoncer ? Il sembla que non, car déjà il commença à marmonner des choses concernant Serdaigle. Elle vit devant ses yeux apparaitre la lettre qu'elle avait rédigée quelques mois auparavant.
Mr Brennan,
Je m'appelle Marlene Brennan, je suis une sorcière dont les parents sont tous deux moldus, et je viens vous demander votre aide...La brunette connaissait parfaitement la suite, mais le chapeau rapiécé ne s'occupait déjà plus de la lettre. Il marmonnait à nouveau, et elle décida de ne pas essayer de comprendre ce qu'il pensait.
-
Gryffondor, s'exclama-t-il alors, la faisant sursauter violemment.
Elle descendit fébrilement du tabouret, marchant la tête baissée jusqu'à la table à laquelle elle allait se nourrir chaque jour durant les sept prochaines années. Elle s'était attendue à être envoyée à Serdaigle. Son intellect avait toujours été sa plus grande fierté. N'était-elle finalement qu'un animal guidé par ses sentiments et émotions ? Elle connaissait la réponse. Il suffisait de se souvenir du jour où elle avait envoyé des pelles et râteaux attaquer ses voisins adolescents, qui avaient eu le malheur de s'approcher de son chien, un air mauvais affiché sur leurs visages ahuris et des pétards à la main.
Elle poussa un soupir résigné et s'assit docilement à la table qu'on lui avait attribuée, l'écho des applaudissement qui l'avaient accueillie s'évanouissant peu à peu.
C'était une journée de début d'été. Le temps était incertain, le soleil se cachant occasionnellement derrière d'épais nuages dont la menace n'approchait jamais vraiment. Une légère brise agitait les voiles des quelques bateaux amarrés au port. Il faisait bon, le vent doux attirait les gens dehors, pourtant Elyott restait dans la maison presque vide. Seule Olly était encore là, à jouer dans le jardin, tandis que leurs parents travaillaient.
Olly. Reposant délicatement l'ouvrage qu'elle était en train de lire, Elyott, désormais âgée de dix-sept ans, se remit à penser à sa soeur cadette. Cette dernière n'avait toujours pas manifesté la moindre capacité magique, bien qu'elle approchât de ses huit ans. Ce n'était pas alarmant, bien sûr, mais la jeune fille ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter. Elle avait toujours voulu avoir un autre sorcier dans la famille. Quelqu'un à qui se confier, quelqu'un à aider pour les devoirs de Défense contre les forces du mal, quelqu'un à qui enseigner de distrayants enchantements, quelqu'un à qui parler avec passion des méfaits de Peeves...
Elle resta songeuse durant de longues minutes avant d'être soudainement extirpée de ses pensées par un cri venant de l'extérieur. Bien que la voix fût étouffée par les murs et la distance, elle distingua parfaitement son prénom qu'on appelait comme on se raccroche à une bouée durant un naufrage. Elle sauta alors de son lit, dévala les escaliers en bois abîmé et sortit de la maison en ouvrant violemment la porte d'entrée, dont le battant alla percuter avec force la cloison.
-
Olly ? Olivia !Elle venait d'apercevoir les Atwood, ces sales voisins aigris qui ne vivaient que pour prouver au monde entier que la plus grande des filles Brennan ne tournait pas rond. Ils n'étaient que deux, et d'après ce que Marlene avait réussi à apprendre sur eux, ils n'avaient pas plus de trente ans tous les deux. Sam et Duke étaient leurs prénoms, mais elle n'avait jamais su pourquoi les deux frères vivaient ensemble dans ce coin tranquille d'Ipswich. Elle ne songea cependant pas à le leur demander lorsqu'elle se rendit compte qu'Olly, qu'ils dominaient de toute leur hauteur, était en larmes. Elle s'avança à grands pas, la rage bouillonnant en elle, se doutant déjà de ce qui s'était passé. Persuadés d'être tombés sur une famille de sorciers, ils avaient dû pousser la gamine à bout, la menacer, jusqu'à ce qu'elle se sente complètement acculée et n'ait d'autre choix que de montrer sa magie.
Pas de chance, pensa-t-elle, Olivia n'avait pas plus de pouvoirs que l'épouvantail fait maison qui se décomposait dans le potager, derrière la maison.
Marlene était soulagée d'avoir pensé à prendre sa baguette magique avec elle. Elle était en guerre contre ces sales Moldus. Ils avaient malmené sa petite soeur, l'avaient sans doute rendue encore plus honteuse de ne pas avoir le moindre pouvoir, et s'en seraient sans doute pris à Elyott elle-même, eusse-t-elle été moins vigilante. Elle saisit sa baguette d'un geste fluide et la dirigea vers Sam, s'avançant toujours d'un pas vif jusqu'à se retrouver à quelques centimètres à peine de sa cible, sa baguette effleurant presque le bout de son nez.
-
C'est ça que vous voul...Elle ne s'était pas attendue à ce que Duke, voyant son frère menacé, ose la frapper. Et pourtant, il lui avait asséné un violent coup de poing dans l'estomac, lui coupant le souffle et l'interrompant en pleine phrase. Elle vacilla, entendit vaguement Olly l'appeler à nouveau, et lutta pendant de longues secondes pour reprendre son souffle. Lorsqu'elle se redressa, la gravité de la situation la heurta de plein fouet. Elle avait laissé tomber sa baguette sur le sol sous le choc, se retrouvait seule face à deux hommes qui faisaient une bonne tête de plus qu'elle, et n'avait aucune idée de la manière dont s'en débarrasser sans finir défigurée.
Une main appuyée sur le mur pour soutenir son corps douloureux, la respiration haletante, elle regarda d'un oeil mauvais Duke s'approcher d'elle tel un prédateur atteignant triomphalement sa proie. Elle avait toujours été convaincue que c'était lui le plus mauvais des deux. L'autre n'aurait jamais frappé une fille. Mais était-elle vraiment une fille, à leurs yeux ? Quelque chose lui disait qu'elle n'était rien d'autre qu'un monstre qui s'était emparé d'un corps pur et vulnérable, et qui répandait le mal tout autour de lui. Peu importe ce qu'elle était, cependant. Il avait vu la baguette tomber, il se savait donc supérieur.
Elyott avait été stupide. Elle était restée là, sans bouger, à philosopher sur le caractère de son agresseur, alors qu'elle aurait pu s'enfuir. Peut-être était-ce la présence d'Olly qui l'en avait dissuadée, peut-être était-ce sa témérité malvenue, peut-être était-ce simplement parce qu'elle était réellement stupide. Il n'empêche que Duke avait profité de son moment d'absence pour la saisir avec force par la gorge, la collant contre le mur. Elle sentait ses pieds se soulever du sol, mais ce n'était qu'un détail comparé à la douleur qui déchirait sa gorge. Elle luttait, tentait de se libérer, griffant son adversaire, donnant des coups de pieds dans le vide, tentant même de crier, mais aucun son ne parvenait à sortir de sa bouche. Elle suffoquait, sentait ses poumons protester avec une hargne insoupçonnée, sentait des larmes de douleur couler sur ses joues. Tout semblait devenir beaucoup plus lumineux, à tel point que c'en était insupportable. Elle ferma les yeux et, dans un ultime effort, lança au hasard un énième coup de pied, qui atteignit le tibia de Duke. Elle l'entendit grogner, resserrer brièvement ses doigts autour de son cou, puis la lâcher.
L'air s'engouffrant à nouveau dans ses voies respiratoires lui donna l'impression que des ongles de gobelins se cramponnaient férocement à sa gorge. Elle avait mal, et avait vaguement conscience que la respiration et rauque que tout le voisinage devait entendre était la sienne. Pendant un instant de pure naïveté, elle crut que c'était son faible coup de pied qui l'avait libérée. Mais maintenant qu'elle retrouvait peu à peu un rythme respiratoire stable et que sa vue devenait moins troublée, elle percevait des bruits de lutte à quelques mètres à peine.
-
Enoch ?Sa voie brisée était si faible que personne ne sembla l'entendre, tandis qu'Enoch expulsait violemment du jardin le plus massif des deux frères. Enoch était le seul sorcier qu'Elyott connaissait dans les environs. Il avait un an de plus qu'elle, et ils étaient devenus proches dès la troisième année d'études de la brunette à Poudlard. Tellement proches, à vrai dire, qu'elle ne savait plus très bien où ils en étaient.
-
Rentre, s'exclama-t-il avec colère, comme si elle était responsable de ce qui venait de se produire.
Elle se redressa lentement, s'assurant de ne pas perdre l'équilibre avant de se pencher pour ramasser sa baguette, et retourna dans la maison avec une expression contrite. Elle remonta dans sa chambre, tâtant avec précaution l'endroit où, elle en était sûre, de sinistres marques allaient finir par apparaitre, ornant sa gorge de motifs repoussants. Après la fougue avec laquelle elle s'était débattue, elle était désormais accablée par une torpeur insondable. Incapable de réfléchir correctement, elle s'assit mollement sur son lit, fixant d'un oeil éteint le mur d'en face. Dans quel pétrin s'était-elle fourrée ? Qu'allait-il se passer, maintenant qu'elle s'était montrée telle qu'elle est ? Et Olly... Une vague de panique s'empara d'elle, faisant disparaitre tout engourdissement. Où Diable était donc Olly ?
Elle s'apprêtait à se lever, à se ruer à l'extérieur, quitte à y laisser sa peau, pour s'assurer que sa soeur allait bien. Mais des bruits de pas précipités dans l'escalier l'en empêchèrent. Elle observa alors Enoch, dont les traits étaient toujours marqués par une fureur injustifiée.
-
Pourquoi tu n'as pas transplané ?-
Je... Quoi ?Elle le fixa avec encore plus de perplexité. Il avait donc perdu la tête. Il était inconcevable qu'elle ait fui en laissant sa soeur seule face à ces deux brutes. Duke la tenait de toute façon fermement, ce qui l'aurait donc fait transplaner avec elle. Sans parler du fait que, comme il le savait très bien, elle était très médiocre en transplanage. Il lui fallait toujours se concentrer ardemment, et même lorsqu'elle était focalisée sur sa destination, il lui arrivait de se désartibuler. Alors qu'est-ce qui se serait produit si elle avait tenté de transplaner alors qu'elle était occupée à se faire à moitié étrangler ?
-
Pourquoi tu as mis autant de temps à arriver, d'abord ?Elle était sur la défensive, désormais, vexée et humiliée par sa faiblesse. Enoch, quant à lui, ne lui prêtait pas franchement attention. Il semblait préoccupé, plongé dans une profonde réflexion. Il semblait ne pas la voir, et s'était mis à faire les cent pas devant elle. Enfin, après une bonne minute passée dans un silence pesant, il s'arrêta enfin.
-
Il faut que tu partes, annonça-t-il d'un ton morne.
C'est trop dangereux pour toi. Ils ont tout vu, ils vont t'en faire baver si tu restes.Elle releva brusquement la tête vers lui, abasourdie.
-
Partir ? Tu veux dire, toute la famille ? À cause d'eux ? Et Olly ? Et mes parents ?-
Ils n'ont pas besoin de bouger. Ils n'ont pas de pouvoirs. Ils sont en sécurité. Tu dois partir, Marlene.La jeune fille resta silencieuse, incapable de décider s'il était sérieux ou s'il voulait juste lui faire payer le fait d'avoir été aussi imprudente. Elle se rendit compte qu'elle tremblait, alarmée par la perspective de se retrouver seule dans un monde qui ne voulait pas d'elle. Alors, lentement, l'ampleur de la situation se fraya un chemin jusqu'à son cerveau à nouveau anesthésié.
Il fallait qu'elle parte.La sensation d'écrasement disparut aussi vite qu'elle était apparue. Elyott lâcha le bras d'Alpheratz, vacillant légèrement sur ses jambes qui ne voulaient décidément pas s'habituer à cette sensation. Elle n'eut pas le temps de faire grand chose d'autre, car déjà elle entendit siffler près de son oreille un sortilège, que seule la main d'Alpheratz qui l'avait poussée sur le côté lui permit d'éviter. Ils se retournèrent tous deux, baguettes pointées droit devant eux, et virent fuir trois individus encapuchonnés. La jeune Auror eut juste le temps de se rendre compte que ce lieu lui était familier, avec ce petit lotissement de maisons collées les unes aux autres et de couleur pale, alignées parfaitement le long d'une rue large et impeccable, avant de se lancer à la poursuite de ses assaillants. Ils avaient été envoyés ici afin de se charger d'une attaque sur des Moldus. Ils ne s'attendaient néanmoins pas à un tel comité d'accueil.
Courant à en perdre haleine le long de la rue si familière, Elyott s'efforça de ne pas laisser l'angoisse la gagner. C'était le meilleur moyen pour ne parvenir à arrêter personne.
Ces gens-là ont torturé des Moldus, Elyott, se rappela-t-elle afin de s'encourager à faire vaillamment son travail. Peut-être était-ce son père qui, en ce moment-même, gisait, inanimé, sur le parquet du salon. Peut-être le corps de sa mère était-il profondément meurtri par des blessures qu'aucune médecine Moldue ne parviendrait à panser.
Elle accéléra alors l'allure, brandissant sa baguette droit devant elle sans tenir compte du point de côté lancinant qui la suppliait de s'arrêter. Elle ne voyait pas son partenaire, mais elle le savait proche. Ils gagnaient du terrain. Le plus proche des fuyards sembla trébucher, et elle en profita pour lancer un maléfice d'Entrave qui atteignit sa cible de peu. Il n'en restait plus que deux, et la jeune femme ignorait où ils pouvaient être. Tournant au hasard sur sa droite, elle se retrouva devant une vieille et vaste bâtisse qui avait vaguement l'aspect d'une grange rénovée. Elle s'y précipita, consciente qu'il s'agissait-là d'une éventuelle cachette.
Lorsqu'elle pénétra dans le bâtiment sombre, elle se retrouva nez à nez avec un homme dont la baguette visait cruellement sa poitrine. Elle était toujours incapable de voir le visage de son adversaire, mais il lui semblait néanmoins étrangement familier, sans qu'elle accepte d'en admettre la raison. Son coeur battait à tout rompre contre sa poitrine, mais elle s'efforça de maitriser sa peur afin de garder le contrôle de sa voix.
-
Baissez cette baguette. Rendez-vous et tout ira bien.Tout se passa alors très vite. La porte derrière elle s'ouvrit avec un grand fracas, un éclair de lumière rouge passa près de son corps en même temps que le capuchon de son adversaire basculait en arrière, révélant son visage. Le choc qu'elle éprouva alors la cloua sur place.
-
Enoch ? NON !Elle sentit sa voix se briser, tout comme son coeur devant une telle trahison. Son meilleur ami, celui qui l'avait aidée si souvent, avait choisi un camp qu'elle combattait chaque jour. Avait adopté des pratiques contre lesquelles elle luttait. Alpheratz, qui se trouvait à côtés d'elle, la baguette levée, lança un nouveau sortilège de Stupéfixion qu'Enoch dévia d'un coup de baguette nonchalant. Un éclair de lumière orangée illumina alors la pièce, et Alph s'écroula sur le sol avec un grognement sonore.
-
NON ! hurla-t-elle à nouveau, bien qu'elle sût que crier ne l'aidait en rien.
Elle se laissa tomber à genoux à côté de son mentor, oubliant momentanément le danger qu'elle courait indéniablement, et observa, impuissante la profonde entaille qui avait déchirée sa chemise le long du torse. Enoch venait d'attaquer un Auror. Enoch venait de faire du mal à quelqu'un, devant ses yeux. Lui, qui l'avait aidée, soutenue, qui lui avait tout appris. Elle se sentait si profondément trahie et effrayée qu'elle sentit les larmes baigner ses yeux clos. Lorsqu'elle releva la tête, Enoch était encore là, l'observant d'un air intrigué. Elle saisit alors à nouveau sa baguette et la pointa avec une vitesse étonnante sur son ami d'enfance.
-
Stupéfix ! Impedimenta ! POURQUOI ?Il rit de bon coeur devant ses efforts pour le neutraliser, recourant à un simple charme du Bouclier pour contrer ses attaques.
-
Parce que c'est plaisant, se contenta-t-il de répondre.
Et sans prendre la peine de lui donner davantage d'explications, il tourna sur lui-même et disparut dans le néant.